La question de départ

Etape 1- La question de départ

 

Une recherche est un cheminement vers une meilleure connaissance et elle doit être acceptée comme tel, avec tout ce que cela implique d’errements, d’hésitations et d’incertitudes.

Dès lors, le chercheur doit s’obliger à choisir rapidement un premier fil conducteur aussi clair que possible de sorte que son travail puisse débuter sans retard et se structurer avec cohérence.

 

Autrement dit, la meilleure manière d’entamer un travail de recherche sociale consiste à s’efforcer d’énoncer le projet sous la forme d’une question de départ. En recherche, le secret de la réussite réside fréquemment dans la sélection d’une bonne question.

Par cette question, le chercheur tente d’exprimer le plus exactement possible ce qu’il cherche à savoir, à élucider, à mieux comprendre.

 

Selon Gaston Bachelard, « toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question préalable, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi, rien n’est donné, tout est construit »[1]

La question de départ sert donc de guide à la recherche. C’est le premier moyen de mise en œuvre d’une des dimensions essentielles de la démarche scientifique et de la construction de l’objet, c’est-à-dire la rupture avec les préjugés et les prénotions, donc avec le sens commun.

 

La question de départ permet de cerner le problème particulier de recherche avec précision et d’en dessiner les contours.

 

Le thème devient problème de recherche quand on formule une ou des questions sur ce thème.

Une fois la question de recherche posée, on peut entreprendre son opérationnalisation, c’est-à-dire la concrétiser pour la rendre observable dans la réalité.

‘’Il n’y a pas de recherche sans questionnement’’[2], dira Michel BEAUD

 

Exemple :

Thème général : L’avortement en France

Objet de recherche : La légalisation de l’avortement en 1974

Question de départ : Quels facteurs ont présidé au vote de la loi sur l’IGV (interruption volontaire de la grossesse) de 1974 ?

 

On peut commencer son travail de recherche sans avoir la bonne question de départ. Certains étudiants sont dans l’illusion qu’il existe quelque part une bonne question de départ et faute de la découvrir tout à coup, perdent beaucoup de temps avant de travailler réellement.

Afin d’éviter ce piège, il est préférable de parler de questionnement de départ composé de toutes les questions qui viennent à l’esprit et parmi lesquelles il faudra faire un tri.

Une méthode de travailler le questionnement de départ consiste à lister toutes les questions qui se posent. Ensuite, il faut séparer les questions simples (réponses sur le terrain ou dans des ouvrages) des questions complexes auxquelles personne n’a de réponse satisfaisante a priori. La question de départ se trouve dans ces questions complexes.

 

Aussi, bien souvent, à l’énoncé d’un sujet, de nombreuses questions viennent à l’esprit : évaluez l’intérêt sociologique de chacune d’elle et hiérarchisez-les de manière à clarifier le sens de votre recherche.

 

Lorsque la question de départ aura émergé du questionnement (souvent après de nombreuses reformulations) il conviendra de tester ses qualités de clarté, de faisabilité, de pertinence (cf. l’ouvrage de J.P FRAGNIERE. Comment réussir un mémoire ?).

 

Les critères d’une bonne question de départ

 

Traduire un projet de recherche sous forme d’une question de départ n’est utile que si cette question est correctement formulée… Cela n’est pas forcément facile car une bonne question de départ doit remplir plusieurs conditions.

 

En d’autres termes, pour remplir correctement sa fonction, la question de départ doit remplir au moins trois qualités : les qualités de clarté, de faisabilité et de pertinence.

 

- Les qualités de clarté : Les qualités de clarté concernent essentiellement la précision (caractère de ce qui est précis : ni vague, ni confuse), la concision (qualité de ce qui concis c’est-à-dire qui s’exprime en peu de mots : pas trop longue), et l’univocité de dit d’un terme, un concept qui garde le même sens dans des emplois différents) dans la question de départ.

Pour savoir que la question de départ ne prête pas à confusion, formulez-là ou posez-là à un petit groupe et évitez de faire des commentaires. Demandez à chacun de vous dire la manière qu’il a compris la question afin de savoir si le sens que chacun donne à la question converge. S’il y a trop de divergences, alors il faut reformuler la question.

 

- Les qualités de faisabilité : (caractère de ce qui est faisable, réalisable, possible). Les qualités de faisabilité portent essentiellement sur le caractère réaliste et non du travail que la question de départ laisse entrevoir.

Il s’agit de savoir si nous disposons des moyens humains et matériels pour mener l’étude. Pour réaliser un travail de recherche, nous avons besoin d’un certain nombre de choses parmi lesquelles nos connaissances, nos ressources : le temps et l’argent.

 

- les qualités de pertinence : (vraie question, aborder l’étude de ce qui existe ou a existé et non celle de ce qui n’existe pas encore, avoir une intention compréhensive ou explicative et non moralisatrice ou philosophique).

Il s’agit du registre explicatif et descriptif du sujet. Une question de départ est dite bonne quand elle est ouverte. Autrement dit, c’est une question qui donne lieu à une pluralité de réponses différentes et dont on n’est pas sûr d’une réponse toute faite.

Une bonne question de départ devra éviter toute connotation morale. Elle cherchera non à juger mais bien à comprendre.

 

Autres caractéristiques de la question de départ

 

La question de départ oriente l’étape de l’exploration, notamment les lectures et les entretiens exploratoires. Elle permet au chercheur de ne pas s’égarer dans le choix des lectures car elle en est le fil conducteur.

 

Aussi, c’est l’objectif de la recherche qui est énoncé sous la forme de question (de départ).

 

Généralement, la question de départ se rapproche du titre et comporte trois éléments :

-      les variables investiguées : L’énoncé d’une question de départ doit exprimer une relation entre deux variables au moins. 

-      le type de relation fonctionnelle avancée ;

-      et la population cible visée.

 

La question de départ comporte le germe d’une hypothèse. En effet, très souvent, la formulation d’une question de départ ressemble à celle d’une hypothèse avec cette différence que l’hypothèse prend une forme affirmative alors que la question de départ prend une forme affirmative.

Exemple :

-      Est-ce que la curiosité a un effet sur le changement d’attitude des élèves envers les sciences au niveau secondaire ?

-      L’égalité des chances devant l’enseignement a-t-elle tendance à décroitre dans les sociétés industrielles ?

 

Souvent les étudiants ont de la difficulté à formuler une question de départ parce qu’ils n’ont pas identifié les variables et établir le type de relation fonctionnelle entre ces variables.

NB : La question de départ commençant par ‘’comment’’ renvoie à la description du phénomène. A cette question on ne formule pas d’hypothèse. La description du phénomène permet tout simplement d’aider à expliquer celui-ci.

 

La question de départ commençant par ‘’pourquoi’’ renvoie à l’explication du phénomène. C’est la question fondamentale et la plus importante car le rôle de la sociologie n’est pas de décrire, mais d’expliquer. A cette question, nous devons formuler une ou plusieurs hypothèses (compréhensive ou explicative).

 

L’objectif est de comprendre, d’expliquer ou d’analyser et parfois d’établir un lien de causalité. Autrement dit, nous initions une recherche c’est-à-dire une action en vue de découvrir quelque chose.

 

Exemples de questions de départ célèbres tirées de l’ouvrage de Raymond BOUDON. L’inégalité des chances : la mobilité sociale dans les sociétés industrielles. Paris, A. Colin, 1973, Collection U :

 

-      L’égalité des chances devant l’enseignement a-t-elle tendance à décroitre dans les sociétés industrielles ?

-      Quelle est l’incidence de l’inégalité des chances devant l’enseignement sur la mobilité sociale ?

 

La formulation de la question de départ

 

La formulation de la question de recherche est un exercice qui peut se faire individuellement mais le plus souvent en groupe avec l’aide critique des collègues, d’amis, d’enseignants ou de chercheurs. C’est une question à retravailler jusqu’à l’obtention d’une formulation satisfaisante, correcte et moins critiquable. Pour ce faire, il faut d’abord :

1-   formuler un projet de recherche[3] ;

2-   tester cette question auprès de votre entourage (pour savoir si elle est bien formulée et comprise par tous) ;

3-   vérifier si la question répond à toutes les conditions que l’on a précédemment énoncées : clarté, faisabilité, pertinence ;

4-   reformuler la question le cas échéant.

 

Pour formuler la question de départ, une connaissance minimale des théories propres à la discipline (Sociologie) est utile, car les théories, en fournissant certaines perspectives d’explication et de compréhension, assurent une première classification et une mise en ordre du problème.

 

Les préalables à la pose ou la formulation de la question de départ dans le processus de la recherche

 

Thème :

Exemple : L’alcoolisme

 

Sujet :

Exemple : le travail d’accompagnement d’un bénéficiaire du RMI alccolodépendant

 

Problème :

Exemple : Dépendance et contrat

 

Question :

Exemple : Un alcoolodépendant est-il accessible à la notion de contrat ?

 

 

 

L’identification d’un problème de recherche

 

Selon F. S. C. Northrop (1959), « la science ne commence pas avec les faits et des hypothèses, mais avec un problème spécifique »[4]. Aussi, la construction d’un objet d’étude passe impérativement par l’identification préalable d’un problème de recherche.

 

Par conséquent, avant de poser une question de départ, il faut d’abord identifier un problème de recherche. Autrement dit, il faut rencontrer et repérer une situation problématique. Le problème naît, dans la société, d’une tension, (d’un dysfonctionnement) entre l’événement et le cours jugé normal des choses. Cette tension est perçue par le sociologue lui-même ou portée à sa connaissance par un organe de ‘’commande’’ de recherche sociologique (puissance publique, entreprises privées, associations, groupes d’individus concernés par le problème, institution académique elle-même, etc.).

Autrement dit, le point de départ d’une recherche réside souvent dans l’étonnement des chercheurs : les choses ne se passent pas comme elles devraient se passer. Par exemple, il y a chômage alors qu’« il devrait » y avoir plein emploi. Ou encore : les jeunes se droguent alors qu’ « ils devraient » s’occuper seulement de leurs études.

 

Exemple : En 1989, il y avait plus de 3000 étudiants à l’UOB dont 97% étaient célibataires et 3% mariés. Ces étudiants avaient 27 ans en moyenne.

Le véritable problème dans ce sujet est le célibat et non le mariage. C’est le célibat qui pose problème et non le mariage car la situation de marié est normale. Nous savons que dans la société africaine, le célibat est considéré comme une infirmité.

 

Qu’est-ce qu’un problème de recherche ?

 

Selon Pierre Bourdieu, la pertinence d’un problème s’opère à partir de ‘’l’écart entre une situation actuelle insatisfaisante et une situation souhaitable satisfaisante’’[5]

 

De façon formelle, un problème se définit comme un écart ressenti (un manque, un vide) que l’on doit éliminer entre une situation actuelle insatisfaisante et une situation désirée ou souhaitable satisfaisante. Dans ce contexte, un problème de recherche est considéré comme étant un écart ou un manque à combler dans le domaine de nos connaissances entre ce que nous savons et que ce nous devrions ou désirons savoir sur le réel. Le problème s’exprime par un sentiment d’ignorance et par le désir de connaître, par la volonté d’en savoir plus en ce qui concerne le réel observable, par un questionnement. Autrement dit, il y a problème de recherche lorsqu’on prend conscience de la nécessité de combler certaines lacunes dans nos connaissances de la réalité.

Ainsi, on peut se poser des questions sur les causes de la délinquance. Dans ce sujet, nous ne possédons qu’une certaine part de connaissances. La situation finale désirée est une connaissance de la réalité qui soit la plus complète et la plus vraie possible.

 

NB : Un problème de recherche est une question posée à la réalité.

 

Passer du ‘’problème social’’ au ‘’problème sociologique’’

 

Le sociologue travaille sur des faits sociologiques et non pas sur des faits de société. Il cherche à construire un fait social dans le but de l’étudier.

 

Il faut dissocier problème social et problème sociologique. Tout problème social n’est pas un problème sociologique. Tout problème social ne fait pas l’objet d’une étude sociologique. Mais tout problème sociologique est au départ un problème social.

 

Aussi, « lorsque la situation problématique a été repérée avec assez de précision, la première tâche du sociologue consiste à passer du ‘’problème social’’ au ‘’problème sociologique’’. Nombre de recherches sont boiteuses dès le départ parce que confusion a été faite entre ces deux niveaux de problématisation »[6].

 

« Le ‘’social’’ renvoie aux modes habituels d’attribution de sens par les acteurs vivant leurs existences normales. Le ‘’sociologique’’ résulte de la mise en perspective scientifique opérée par le chercheur agissant en tant que chercheur »[7]

 

Le passage du problème social au problème sociologique s’opère par l’évaluation de ce problème. Cette évaluation peut être quantitative ou qualitative. Tout dépend de la nature du problème.

 

a- Evaluation quantitative

 

L’évaluation quantitative consiste à mesurer l’ampleur du problème. C’est la quantification qui permet au sociologue de savoir qu’un problème social est un problème est un problème sociologique.

 

Exemple : En 1989, il y avait plus de 3000 étudiants à l’UOB dont 97% étaient célibataires et 3% mariés. Ces étudiants avaient 27 ans en moyenne.

Le véritable problème dans ce sujet est le célibat et non le mariage. C’est le célibat qui pose problème et non le mariage car la situation de marié est normale. Nous savons que dans la société africaine, le célibat est considéré comme une infirmité.

 

L’usage des statistiques, selon Durkheim, permet d’aller contre les intuitions premières.

La statistique permet de mettre en évidence un fait social car elle dégage une possible régularité du domaine.

La statistique permet de mettre en évidence la contrainte extérieure (l’influence qu’exerce la société sur l’individu qui finalement suit des règles à son insu).

Les statistiques révèlent les faits qu’on ne voit pas.

 

Pour connaître les faits sociaux, la statistique s’impose comme la méthode par excellence car elle seule peut les saisir dans leur globalité indépendamment des cas particuliers. De ce point de vue, un fait est social dès qu’il présente une régularité statistique. Nous montrons par là même que les faits sociaux ne sont pas réductibles à l’ensemble des actions individuelles.

 

« Le fait social est par nature un fait statistique. Il est caractérisé par sa répétition. Pour connaître l’intensité d’une mode ou d’une coutume, par exemple, il faut autant que possible en mesurer la distribution ou la fréquence »[8]

 

b- Evaluation qualitative

 

Tous les problèmes sociaux ne peuvent être quantifiés (cf la quantophrénie de Sorokin). Mais on peut qualitativement évaluer l’ampleur d’un phénomène.

 

En somme, dans la première étape, figurent les différentes opérations suivantes :

-      faire un constat (qu’est-ce que vous avez remarqué d’anormal ? Qu’est-ce qui a attiré votre attention ?) ;

-      Relever et poser le problème que la thématique retenue pose ;

-      Faire une description de la manifestation du phénomène ;

-      Montrer que le problème se pose avec acuité ;

-      Montrer que le phénomène est d’actualité ;

-      Poser la question de départ ;

-      Donner les objectifs de l’étude.

 

NB : La question fixée au départ est malléable, elle n’est pas définitivement posée. Elle évoluera avec les lectures et les premiers entretiens. Elle évoluera aussi avec la problématique pour finalement être définitive.

 



[1] Gaston Bachelard. La formation de l’esprit scientifique. 3e éd, Paris, 1975, p.14

[2] Michel BEAUD. L’art de la thèse. Paris, La découverte, 2006, « Coll. Guides Grands Repères », p.11.

[3] En science, un problème de recherche est ce qui soulève une question et qui peut faire l’objet d’une recherche et mener à des connaissances nouvelles et à de nouvelles questions.

[4] Madeleine Grawitz. Méthodes en sciences sociales. 9e éd., Paris, Dalloz 1993, p.133

[5] Pierre Bourdieu. ‘’La sociologie est un sport de combat’’. Cassette vidéo de pierre CARLES, Paris

[6] Claude Javeau. Leçons de sociologie. 2e éd., Paris, Méridiens Klincksieck, 1988, p.113

[7] Claude Javeau. Leçons de sociologie. 2e éd., Paris, Méridiens Klincksieck, 1988, p.113

[8] Gaston Bouthoul. Traité de sociologie. Paris, Payot, 1959, p.131

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