1 PRÉSENTATION
Merton (1910-2003), sociologue américain, fondateur de la sociologie des sciences et l’un des principaux rénovateurs du fonctionnalisme.
2 UN SCIENTIFIQUE RECONNU
Né à Philadelphie (Pennsylvanie), Meyer Robert Schkolnick appartient à une famille d’immigrés juifs d’Europe de l’Est. Il grandit au-dessus de la crémerie familiale et adopte le surnom de « Robert Merlin » lorsqu’adolescent il s’amuse à présenter des spectacles de magie. Il devient Robert King Merton après son entrée à Temple University, qu’il quitte pour Harvard en 1932. Il y suit les cours en sociologie de Talcott Parsons et de Pitirim Sorokin, sous la direction duquel il soutient en 1936 une thèse sur les liens entre le développement des sciences et techniques et le puritanisme protestant dans l’Angleterre du xviie siècle.
Après deux années d’enseignement à l’université de Tulane, il intègre en 1941 l’université Columbia (New York), où il rencontre Paul Felix Lazarsfeld. Ensemble, ils se consacrent à l’étude de la communication de masse. Ils créent le Bureau de recherche sociale appliquée et font de l’université Columbia l’un des principaux centres de la recherche américaine en sociologie.
Tout au long de sa brillante carrière d’enseignant et de chercheur, Merton reçoit de nombreux et prestigieux honneurs scientifiques et universitaires. Il est notamment le premier sociologue à se voir décerner, en 1994, la plus haute distinction scientifique américaine, la National Medal of Science.
3 LE PIONNIER DE LA SOCIOLOGIE DES SCIENCES
Merton est considéré comme le premier sociologue des sciences et des techniques. Dès le début des années 1940, il formule le concept d’« éthos scientifique » pour désigner les quatre normes qui régulent la communauté scientifique, soit : le « communalisme » (la connaissance scientifique est publique et appartient à tous, pas seulement aux scientifiques) ; l’universalisme (il n’existe pas de sources privilégiées pour la connaissance scientifique et les lois scientifiques sont les mêmes partout) ; le désintéressement (le travail des scientifiques est impartial et voué à servir la connaissance humaine) ; le scepticisme systématique (la connaissance, qu’elle soit nouvelle ou ancienne, doit toujours être rigoureusement examinée).
Présente dès sa thèse de doctorat, son ambition de faire des sciences et techniques des objets de la sociologie aboutit à l’essor et à l’institutionnalisation des études de sciences, techniques et société (STS). En 1975, il fonde notamment la Society for Social Studies of Science (« 4 S »).
4 LE THÉORICIEN DE « MOYENNE PORTÉE »
S’inscrivant dans une perspective fonctionnaliste, alors qu’une querelle oppose « empiristes » et « théoriciens », Robert King Merton renouvelle la méthode sociologique en invitant les uns et les autres à éviter deux grands écueils : d’une part, la spéculation théorique et, d’autre part, l’empirisme étroit. Dans Social Theory and Social Structure (1949, traduit en 1953 par Henri Mendras sous le titre Éléments de théorie et de méthode sociologique), il critique à la fois la sociologie descriptive, qui ne fait qu’un compte rendu des faits sans fondement théorique, et la sociologie spéculative, qui produit du sens sans en vérifier le bien-fondé sur le terrain. Il importe, selon lui, de confronter l’abstraction théorique à l’observation empirique.
Dans ce cadre, il met l’accent sur le rôle essentiel de la « sérendipité » pour faire avancer la sociologie. Inventée par l’écrivain anglais Horace Walpole au xviiie siècle, la notion de serendipity désigne le fait de découvrir quelque chose que l’on ne cherchait pas. Pour Merton, c’est ce processus qui permet, face à des données inattendues et des faits « aberrants » (qui résistent aux théories), de formuler de nouvelles hypothèses et d’élargir les théories.
L’originalité de son approche consiste en outre à rejeter la recherche d’une théorie globale de l’action et du système social, au profit de théories de « moyenne portée » (theories of the middle range), capables de rendre compte d’une problématique limitée.
5 LE RÉNOVATEUR DE L’ANALYSE FONCTIONNELLE
D’essence fonctionnaliste, la sociologie mertonienne insiste sur la nécessité de restituer les phénomènes sociaux au sein d’un système d’entités sociales qui fonctionnent en interaction, et sur l’utilité de repérer les fonctions qu’ils remplissent ainsi que les résultats qu’ils produisent, intentionnellement ou non. Toutefois, contrairement au fonctionnalisme radical de Talcott Parsons, Merton porte une attention toute particulière aux dysfonctionnements susceptibles de dérégler le système social. En mettant en lumière les écarts existant entre les fonctions « manifestes » et les fonctions « latentes », il montre que certaines actions socialement admises peuvent se révéler dysfonctionnelles (comme la bureaucratie par exemple), tandis que certains dysfonctionnements manifestes (tels que la corruption politique) peuvent avoir une utilité latente. À partir de l’œuvre d’Émile Durkheim, qu’il a contribué à diffuser aux États-Unis au début de sa carrière, il propose ainsi une révision radicale des concepts d’anomie et de déviance.
Son analyse du décalage entre la réalité sociale et les attentes du sociologue fondées sur des causes objectives le conduit à établir aussi le concept de self-fulfilling prophety (traduite en français sous le terme de « prophétie autoréalisatrice » ou « créatrice ») pour désigner le phénomène par lequel le fait même de vouloir prévenir un dysfonctionnement provoque sa réalisation — comme c’est le cas des paniques boursières par exemple. Il prouve ainsi le rôle des croyances dans les phénomènes sociaux, qui ne peuvent donc être réduits à des effets de causes objectives.
Robert King Merton, qui se distingue par la diversité de ses thèmes d’études et par une œuvre prolixe (sous la forme d’articles essentiellement), est également à l’origine de la méthode des focus groups (méthode d’enquête qualitative).