Institutionnalisation de la sociologie gabonaise.

 

L’institutionnalisation de la sociologie désigne le processus de la formalisation et l’acceptation de cette nouvelle science humaine à l’intérieur de champ intellectuel, principalement dans le milieu universitaire. Au Gabon cette institutionnalisation de la  sociologie va se concrétiser vers les années 1960 avec avènement de l’indépendance. Le peuple gabonais vient de découvrir la science des faits sociaux et qui pour ceux répond aux attentes de la société. Validant son importance les premiers sociologues gabonais mettront sur pied son intégration pour qu’elle devienne une discipline à part entière à université. De ce fait, comment s’est déroulé l’institutionnalisation de la sociologie  gabonaise ?

 

Pour mieux appréhender notre sujet il s’agira de montrer d’une part les pionniers de l’institutionnalisation de la sociologie gabonaise, d’autre part ses obstacles.

 

A-LES PIONNIERS DE L’INSTITUTIONNALISATION DE LA SOCIOLOGIE GABONAISE

 

L’institutionnalisation de la sociologie gabonaise est marquée par trois grandes étapes à savoir ; l’étape des pères fondateurs, les précurseurs et les continuateurs.

                                           

a- Les pères fondateurs

          

L’institutionnalisation de la sociologie gabonaise commence avec Les pères fondateurs, Dans les travaux sociologique et anthropologique des années 1950 – 1960, l’ouvrage de Georges Balandier, sociologie actuelle de l’Afrique noire, apparait comme une contribution majeur à la connaissance de la société gabonaise. A cette époque, Georges Balandier ne considérait pas que sa tâche unique consista en une explication du réel, encore moins en une justification du fait accompli. Il tenait déjà la sociologie pour un instrument de critique sociale, mieux, comme un moyen de changer la société. Une telle orientation, explique la prévention du régime contre une science qui tendrait à dévoiler la nature vraie de la société post-coloniale, de ses dynamismes et de ses hiérarchies.  

 

Laurent Marie Biffot est le premier psycho-sociologue gabonais formé dans les universités françaises. Chercheur à l’Office de la recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (O. R. S. T. O. M), il effectue ses premiers constats avec le terrain africain, notamment au Congo Brazzaville avec Roland Devauges 1958 et au Gabon en 1961. Laurent Marie Biffot a enseigné la sociologie et la psychologie sociale a université nationale dès sa création en 1970, puis dirigé l’Institut des Recherches en Sciences Humaines crée en 1976, après le départ de l’O. R. S. T. O .M du Gabon. Au-delà de nombreux enquêtes de terrain, de plusieurs articles ronéotypés par le centre national de la recherche scientifique et technologique (CENAREST) dans le cadre de l’institut de la recherche en sciences humaines, Laurent Marie Biffot aura contribué à l’émergence d’une réflexion psycho-sociologique des problèmes engendrés par la décolonisation avec notamment : « facteur d’intégration et de désintégration du travailleur gabonais a son entreprise » en 1961 et « Genèse des classes sociales au Gabon »                                             

b- Les précurseurs 

               

A partir de 1970, une nouvelle génération de sociologues sort des universités française : Jean Ekaghba Assey, Jean Aboughe Obame, Nzoughet Mendome Edane et Jean Ferdinand Mbah (paris).

 

Comparativement aux travaux de Laurent Marie Biffot, une approche rétrospective des travaux des pionniers de cette génération met en lumière des caractéristiques suivantes : Essentiellement théorique, la sociologie de la seconde génération cherchait à résoudre des problèmes préliminaires de méthodologie et d’épistémologie ; en étroite liaison avec la critique de l’anthropologie classique, elle orientait d’avantage son questionnement à la fois vers la sociologie qui a institué la critique de la société coloniale et de la tradition désormais remaniée, manipulée et en dehors d’elle puisqu’elle demeurait consciente de son caractère d’opposition à la structure sociale post-coloniale. Sans récurrence la pluralité des approches, les sociologues de cette génération tenaient la sociologie pour un instrument de critique sociale mieux comme un moyen de changer la société. Parmi ces quatre sociologues, deux ont pour activité principales, l’enseignement et les recherches, les autres ont exercé dans le secteur privé

                              

C- Les continuateurs

              

Concernant les continuateurs On peut distinguer quatre types de cursus en ce qui concerne les sociologues de la troisième génération. Les sociologues entièrement formés en France : Gaston Noel Mboumbou Ngoma (I. E. D. E. S), Guillaume Moutou (Tours). Les sociologues formés au Gabon et en France : Daniel Mba Allogo (Nantes), Josèphe Moutandou Mboumba (Strasbourg), Anaclé Bissiélo (Paris VII), Jean Marie Vianney Bouyou (Paris V), Marcel Bridon (Poitiers), Mesmin Noel Soumaho (Paris V) et Marcel Bisso Bika (Rouen). Les sociologues formés entièrement au Canada : Fidèle Pierre Nzé Nguema (Laval) et enfin des sociologues formés au Gabon après la réforme du département et au Canada : Mathieu Ekwa Ngui, Flavien Heke Ella, Jean Pierre Ndong Ovono et Ignace Mesmin Ngoua Nguema (Laval).

 

La caractéristique principale de cette nouvelle génération est l’hétérogénéité des cursus. Elle se traduit, sur le plan épistémologique, par une différence thématique et théorique très prononcée. En effet, on constate une identité thématique « développement » entre ceux des sociologues formés entièrement en France et ceux formés entièrement ou partiellement au Canada. Par contre, les approches sont à la fois convergentes et divergentes pour ceux formés au Gabon et en France. On peut signaler par exemple que Jean Moutanbou Mboumba, Marcel Bridon sont sensibles à la problématique du développement, tandis que Anaclé Bissiélo, Jean Marie Vianney Bouyou, Daniel Mba Allogo, Mesmin Noel Soumaho et Marcelle Bisso Bika s’occupent respectivement des objets relatifs à l’organisation, l’espace urbain, la classe ouvrière, l’éducation, le politique et le syndical. 

 

B- LES OBSTACLES DE L’INSTITUTIONNALISATION DE LA SOCIOLOGIE AU GABON

 

La sociologie au Gabon comme partout ailleurs a été confronté à plusieurs difficultés pour son intégration dans le milieu intellectuel.                          

                            

a- Le cadre socio-éducatif

               

D’abord dans le cadre socio-éducatif l’implantation de la sociologie au Gabon commence avec l’université en 1970. Elle est enseignée, pendant près dix ans, au sein du département philosophie, sociologie, psychologie. Ce tronc commun, nécessaire au début de l’organisation de la faculté des lettres et sciences humaines, limitait l’enseignement de la sociologie à l’initiation. En 1980 – 1981 intervint l’autonomie du département de la sociologie. Cela entraina une redéfinition des programmes par les enseignants, notamment Jean Ekaghba Assey et Jean Ferdinand Mbah etc. Cet effort de réflexion déboucha sur l’organisation générale du département avec la création d’un second cycle complet. Pendant six ans la sociologie prit pied dans un climat ou son image de discipline tonitruante coexistait avec celle d’absence de débouché et de la nécessaire orientation vers la professionnalisation. A cette époque déjà, les formations pour D.E.S.S. et l’institut de démographie et de statistiques étaient suggérées aux étudiants de la licence.

                             

b- La réforme du département

                

En 1987 les programmes conçus et dispensés à partir de 1981, vont être revus et corrigé, sur l’initiative de Gaston Noel Mboumbou Ngoma, chef de  département, assisté d’un certain nombre d’enseignants dont M. Alihanga, P. Ayamine Anguile, R. Ondo. Cette réforme s’inspirait alors des programmes de l’institut d’études sur le développement Economique et sociale (I.E.D.E.S). L’objectif visé était d’orienter le département vers la sociologie du développement pour sauvegarder semble-t-il la sociologie menacée de la disparition. Une telle orientation accréditait donc la prévention des autorités contre le caractère critique de la sociologie et le fait qu’elle puisse devenir un moyen de changer la société. La proposition initiale de transformer le département de sociologie en département des sciences du développement et des ressources humaines devint, avec l’arrêté numéro 0000616/MESRS, du 19 novembre 1987 « Département des sciences sociales » trois missions lui furent assignées : « assurer » un enseignement général de niveau universitaire permettant de présenter des candidats à l’institut des planificateurs de  l’éducation et de la formation qui doit s’ouvrir à Libreville, à l’institut de formation et de recherche démographique de Yaoundé, ou à tout établissement de troisième cycle formant des planificateurs, des statisticiens ou des démographes. Forme des cadres immédiatement utilisables sur le marché de l’emploi dans les domaines de la planification des ressources humaines et du développement, de la statistique et de la démographie, d’autres spécialités pouvant être ouvertes selon les besoins du marché de l’emploi. Procéder à des enquêtes sociales sur les problèmes inhérents au développement du Gabon. La réforme du département de sociologie devrait avoir un impact bénéfique sur les services de statique et de planification en leur fournissant du personnel immédiatement utilisable. Sa double vocation d’établissement d’enseignement générale universitaire et d’enseignement professionnel ne permet pas le strict respect les normes académiques universitaires en matière de quotas horaires année d’études.

                        

c- La réforme du programme d’enseignement

               

L’année 1987, représente beaucoup dans l’évolution de la sociologie au Gabon et notamment à l’université. En effet, en combinant le manque de sociologues formés et la paralysie dans le domaine théorique, la peur de la diffamation de la sociologie crée, un climat propice aux sociologues, mais défavorable à la sociologie. Le contenu de la formation comportera huit matières : Sciences sociales, Méthodes quantitative, Information, Démographie, planification, Socio-économie du développement, Administration et législation du travail, administration et gestion des entreprises. Dans le premier cycle, on revient à la situation antérieure, celle du tronc commun ou la sociologie totalisait treize heures sur un volume horaire de cinquante-un heures hebdomadaires annuel. Le second cycle est structuré, à partir de la Licence, autour de quatre certificats : Sciences Sociales quatre heures seront consacrées à la sociologie, Planification du développement, Planification des Ressources Humaines, Mathématiques Sociales et enfin Anthropologie Economique et du Développement. En maitrise, le constat est le meme. A l’exception de quatre heures au séminaire de méthodologie, il y’a aucun enseignement de sociologie dans les quatre certificats de spécialité. 

 

En définitive, il convient de retenir que l’institutionnalisation de la sociologie à université est récente au Gabon. Les pionniers qui se sont efforcées de construire la sociologie et de lutter en sa faveur à entrainer une action dans trois directions : Obtenir la reconnaissance de la sociologie comme science ; avoir des filières nécessaires à la formation des sociologues ; développer l’enseignement de la sociologie qui pendant près de dix ans, ne figurait que comme une matière congrue inscrite au programme d’un enseignement de tronc commun avec la philosophie et psychologie. Il est important de souligner ici que les trois directions cités ci-dessus convergeaient un seul objectif commun aboutir à l’institutionnalisation de la sociologie gabonaise.